À propos —
L’artiste québécoise Cynthia Girard-Renard est bien connue pour son approche décalée teintant tout autant ses œuvres visuelles, performatives que littéraires. La récente série de portraits satiriques rassemblés dans cette exposition met en scène des animaux aux comportements humains, auxquels fait écho un mobile qui prête voix à ses personnages. Élevés au rang d’acteurs historiques selon la hiérarchie des genres en peinture, ces animaux affichent joyeusement leurs désaccords. Appelant à la révolte ou démasquant les dérives autoritaires, ils font suite à leurs illustres prédécesseurs, Hannah Arendt, Frantz Fanon ou Donna Haraway. L’humour, la caricature, le retournement de situations sont les principes selon lesquels Girard-Renard opère, séduisant par ses couleurs vives et ses motifs enfantins pour mieux surprendre le lecteur, attentif à décoder les saynètes qu’elle imagine afin de commenter les maux de notre société.
Le titre de cette exposition, qui est aussi celui du corpus de toiles, est un clin d’œil au film anthropologique Les Maîtres fous (1955) de Jean Rouch, documentant de manière créative, subjective et participative les pratiques rituelles des adeptes du culte Hauka à Accra, alors la capitale coloniale du Ghana. Par l’imitation et l’appropriation de symboles du pouvoir colonial lors de cérémonies religieuses, les protagonistes africains, filmés en toute connaissance de cause, rendent exotiques et étrangères ces coutumes britanniques auxquelles un regard occidental est habitué au point de ne plus y associer la violence dont elles sont, pourtant, une affirmation. Qui se joue de qui dans ce théâtre ambigu où la mimesis frôle l’effronterie ? Car c’est bien par le détournement de symboles libérés grâce à des associations improbables et irrévérencieuses que se manifeste le pouvoir d’action ou de résistance de l’altérité – les animaux, la terre, les migrants. Cette tension productive nourrit les œuvres de Girard-Renard et sert de principe d’articulation au mélange festif mis en scène par l’artiste.
Si les fables de la Fontaine ou les contes de Perrault s’affichaient clairement comme des récits pédagogiques, visant la transmission d’une morale généralement accessible, les œuvres de Girard-Renard refusent cette posture didactique trop sûre d’elle-même. Les bouches avides, les regards fixes, les personnages flottant sur un fond prêt à les aspirer ou à les propulser, les couleurs sucrées jusqu’à l’écœurement, finissent par laisser transparaître un malaise. Celui d’une société privilégiée et individualiste centrée sur ses besoins, engagée dans un processus d’exploitation outrancier et qui, par ses actions autophages, fonce gaiement et à tout allure dans un mur !
Biographie —
Artiste visuelle et poète, Cynthia Girard-Renard détient une maîtrise en beaux-arts du Goldsmiths College à Londres (1998). Elle et vit et travaille à Montréal, où elle est professeure en arts visuels. Depuis plus de vingt ans, son travail est présenté au Canada et à l’international. Elle est récipiendaire de plusieurs bourses, telles que celles du Conseil des Arts du Canada et du Conseil des arts et de lettres du Québec pour des résidences à Berlin ainsi qu’à Londres. Ses œuvres se retrouvent dans les collections du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée national des beaux-arts du Québec, du Ministère des affaires étrangères du Canada, de la galerie de l’Université Carleton ainsi que dans plusieurs collections privées. Elle est représentée par la Galerie Hugues Charbonneau à Montréal.