À propos —
Le texte « En dialogue » décrit la thématique commune des expositions présentées à chaque saison au Musée d’art de Joliette.
Un numéro récent du magazine esse art + opinion posait la question des différentes formes d’appropriation en insistant sur ce qui est commun et distinct dans l’appropriation culturelle et l’appropriation artistique, un courant popularisé dans les années 1960. Les notions de contexte, de propriété et d’autorité sont centrales pour bien cerner le geste d’appropriation et ses conséquences : il s’agit d’emprunter, d’usurper ou de copier sans permission une image ou un objet qui ne nous appartient pas, pour en faire usage dans un contexte qui n’est pas celui de son origine. Dans leurs salles respectives, Joseph Tisiga et Nicolas Fleming ont tous les deux imaginé des installations qui font réfléchir au rôle joué par le contexte de présentation pour faire réfléchir à la valeur – artistique, culturelle – d’un objet.
Des sculptures de bronze réalisées au tournant du 20e siècle par Louis-Philippe Hébert, Alfred Laliberté et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté sont ici exposées par Nicolas Fleming dans une réplique d’une des plus vieilles maisons bourgeoises de Saint-Charles-Borromée. Ce geste de contextualisation rappelle que l’art est alors lié au rang social et que ces œuvres avaient d’abord été pensées pour plaire au goût du jour et agrémenter les riches intérieurs de résidences privées. L’appropriation va souvent de pair avec la simplification d’un sujet initialement complexe devenant un archétype et le danger de glisser vers le stéréotype. Ces sculptures en sont un exemple puisqu’elles représentent de manière romantique une réalité autochtone que ces artistes ne connaissaient pas, ou un monde rural dont ils entrevoyaient la disparition prochaine avec nostalgie. L’œuvre de Fleming, qui ne reprend que le squelette de la Maison Antoine-Lacombe, suggère ainsi que le travail d’interrogation et de révision est un chantier continu, puisque les valeurs qui animent nos actions, colorent notre point de vue, influencent nos schèmes de pensée, changent à travers le temps.
Joseph Tisiga emprunte de son côté au Sncewips Heritage Museum de la Première Nation de Westbank en Colombie-Britannique un patrimoine matériel réalisé par Oliver Jackson, immigrant anglais de Norfolk arrivé au Canada dans les années 1920. Pour créer ses vêtements, objets, sculptures et masques, Jackson s’est librement inspiré de plusieurs nations autochtones à une époque où la Loi sur les Indiens interdisait les cérémonies traditionnelles de Potlach, ce qui a engendré la confiscation de biens autochtones et une diminution de leur production. L’appropriation est aussi un geste de pouvoir : il met en évidence une relation inéquitable et asymétrique, entre dominés et dominants, entre ceux qui ont des droits et ceux qui n’en ont pas, ceux qui ont voix au chapitre et ceux à qui on intime de se taire. L’artiste amateur n’a jamais suggéré qu’il réalisait des créations authentiques, mais ses objets peuvent tout de même paradoxalement servir dans un contexte d’enseignement, raison pour laquelle ils ont été acceptés par le musée. Élevé en partie en Alberta, puis au Yukon, dans un contexte qui ne mettait pas particulièrement de l’avant sa culture kaska dena, ce n’est qu’à la fin de son adolescence que Tisiga s’y est intéressé. Avec cette installation, il fait un parallèle entre sa propre expérience d’acculturation en posant la question suivante : comment reconnecter avec son histoire, sa culture, quand tant d’efforts ont été faits pour la marginaliser et l’affaiblir?
Anne-Marie St-Jean Aubre
Conservatrice à l’art contemporain
Musée d’art de Joliette
Image à la une
Vue de l’exposition de Nicolas Fleming, Regards en dialogue : Hébert, Laliberté, Suzor-Coté et Fleming. La collection A.K. Prakash de sculptures historiques, un don au Musée d’art de Joliette, Musée d’art de Joliette, 2020.