Un lieu de mémoire : contextes d’existence

Commissaire : Irene Campolmi

Du 11 février 2023 au 14 mai 2023

À propos —

L’exposition Un lieu de mémoire : contextes d’existence s’intéresse à la question du contexte, au sens à lui donner et à la façon dont il crée les conditions qui poussent les artistes à exprimer de nouveaux points de vue sur notre monde. Un contexte implique à la fois un lieu physique et géographique ainsi qu’une série d’événements survenus à un moment particulier, à caractère émotionnel, social ou politique. Il correspond à une coordonnée spatiale et temporelle dans la mémoire collective, un point où se croisent, pendant un moment, l’histoire individuelle et l’histoire au sens large.

L’étymologie latine du terme contexte signifie « tisser ensemble » ou « tisser dans ». Prenant pour point de départ les contextes où Jean Paul Riopelle a vécu, l’exposition aborde le voyage comme principal moyen de relier différents contextes et de tisser des souvenirs. Lorsque nous voyageons, les souvenirs que nous avons de notre lieu de provenance se fondent avec ceux de notre destination; le voyage nous permet donc de faire l’expérience, pendant un temps, de nouveaux modes de vie et de conserver ces souvenirs pour plus tard.

« Nous traçons nos vies à partir de tous nos souvenirs », écrit l’auteure féministe bell hooks dans Belonging, puisque « nous naissons dans un lieu de mémoire et notre être s’y inscrit ». Il est donc essentiel, pour établir un contexte, de tisser des souvenirs. Pendant des siècles, les artistes ont figuré parmi les membres les plus mobiles de la société, capables de parcourir le monde et de disséminer d’un contexte culturel à l’autre leurs modes de pensée, leurs idées et leur vision du monde. Riopelle était de ces artistes; tout comme nombre de ses pairs, il a traversé la période d’entre-deux-guerres dans un contexte occidental. Né à Montréal, il a vécu à Paris, Vétheuil et Saint-Cyr-en-Arthies avant de revenir au Canada pour s’établir à L’Isle-aux-Grues, au Québec. Son art s’est développé sous l’influence du modernisme et le voyage est devenu pour lui un moyen naturel de trouver sa place ailleurs. Riopelle est le premier artiste canadien connu à avoir tissé un réseau professionnel en Europe, élément qui s’est avéré fondamental dans sa carrière.

Certes, l’idée de proposer des perspectives inédites sur l’œuvre d’un artiste canadien parmi les plus renommés peut représenter un défi. Néanmoins, ce n’est pas une tâche impossible que de s’inspirer de sa vie, de son travail et de ses réflexions pour s’engager sur de nouveaux parcours. Pour souligner le 100e anniversaire de naissance de Riopelle, le Musée d’art de Joliette, avec le soutien de la Fondation Audain et de la Fondation Jean Paul Riopelle, célèbre l’héritage d’un des artistes les plus influents du 20e siècle, dont l’œuvre et la vie ont connu un impact aussi bien localement qu’à l’étranger. Poussant plus avant les idées de progrès, d’évolution et de croissance qu’on associe étroitement au modernisme et à la mobilité, l’exposition explore le sens qu’accordent aujourd’hui les artistes au passage entre différents contextes. Dans nos sociétés mondialisées, submergées par le féminisme, le mouvement queer, le postcolonialisme, les printemps arabes et leurs contrecoups, le mouvement Black Lives Matter, ainsi que la pandémie, la mobilité s’impose comme une nécessité, plutôt qu’un simple mode de vie.

Un lieu de mémoire : contextes d’existence propose une réflexion sur l’influence éventuelle du contexte – soit un cadre défini par des facteurs géopolitiques, sociaux et temporels particuliers – sur l’œuvre et la pratique des artistes. Alors qu’il n’était pas courant, au début du 20e siècle, de voyager, de vivre à l’étranger et d’être mobile, le fait de partager sa vie entre deux pays est devenu au 21e siècle une condition sine qua non pour tout artiste désireux de se bâtir une carrière. Plutôt que de comparer les points de vue sur la mobilité des artistes au 20e et au 21e siècles, l’exposition se veut un miroir tendu au présent, en présentant des voix d’artistes ignorées par l’histoire de l’art moderniste, à savoir des voix de femmes et de personnes non binaires. Elle propose un regard sur leur expérience et nous fait parcourir les nombreux contextes où elles ont évolué : les lieux où elles sont nées, qu’elles ont traversés et qu’elles ont habités.

Les artistes contemporaines réunies ici – Jane Jin Kaisen, Linda Lamignan, Dala Nasser, Silvia Rosi, et Samara Sallam – sont issues de régions non soumises à l’influence occidentale; elles y ont grandi, y vivent aujourd’hui ou y sont profondément attachées. Dans leurs œuvres, le regard porté sur le voyage se distancie de l’expérience ouest-européenne; le passage d’un contexte à l’autre acquiert un autre sens, étiqueté différemment (mobilité ou migration) selon les personnes qui sont en déplacement.

Caractéristique du mode de vie au 21e siècle, la mobilité est presque devenue une forme de nomadisme qui raccourcit les distances géographiques et culturelles tout en reflétant le désir d’une génération de ne s’enraciner dans aucune mentalité ou contexte particulier (ou son anxiété). Les personnes mobiles vivent et travaillent dans différents pays et se façonnent une identité hybride. La migration est plutôt un processus marqué par la séparation, imposée physiquement ou librement choisie, où le lieu de notre naissance vient à nous manquer comme le ferait un membre fantôme.

L’exposition est construite autour d’un mur symbolisant une ligne temporelle qui sépare, à la façon d’un repère, les œuvres évoquant la mobilité au sens moderne du terme de celles qui nous éclairent sur les mouvements de migration mondiaux. Par ce dispositif, elle dessine une cartographie affective qui accorde une place aux lieux de mémoire des artistes dans la grande histoire.


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Biographie —

Irene Campolmi (Commissaire)

Irene Campolmi est une commissaire d’exposition et une chercheuse basée à Copenhague, où depuis de nombreuses années, elle concentre son travail sur la performance, à travers laquelle elle a étudié les théories postcoloniales, queer et féministes. Ses recherches et sa pratique se sont également concentrées sur la création des conditions permettant d’appliquer l’éthique dans le travail curatorial.

Depuis 2019, Irene Campolmi est la responsable du programme artistique et la conservatrice de Enter Art Program, un programme satellite de performances et de conférences financé par des fonds publics, en conjonction avec Enter Art Fair. Avec Copenhagen Contemporary, elle a remporté le Bikuben Vision Award 2021, le prix le plus prestigieux du Danemark en matière de conservation, en tant que chercheuse principale et commissaire de l’exposition et du projet de recherche « Yet, it Moves ! ».

Elle travaille actuellement en tant que conservatrice principale pour les projets internationaux chez Creator Projects à Copenhague et a travaillé pendant dix ans en tant que conservatrice indépendante et chercheuse dans des musées d’art et des institutions à travers le monde, notamment à The Power Plant, Toronto; MAAT, Lisbonne; Copenhagen Contemporary, Copenhague; MAH, Terceira; Kunsthal Charlottenborg, Copenhague, et à la 58e Biennale de Venise où elle a co-conservé le pavillon estonien Birth V. Hi, & Bye de Kris Lemsalu. Dans le passé, ses recherches et sa pratique de la conservation se sont concentrées sur l’éthique de la conservation. Avant de rejoindre le Louisiana Museum of Modern Art de Copenhague en tant que doctorante (2013-2016), elle a travaillé comme chercheuse au sein du groupe de recherche de l’Institut Max Planck « Objects in the Contact Zone: The Cross-Cultural Life of Things ».


Présentée dans le cadre des célébrations du centenaire de Riopelle grâce au généreux soutien de la Fondation Audain, en collaboration avec la Fondation Jean Paul Riopelle. Nous remercions également l’Institut culturel italien de Montréal et la Danish Arts Foundation. 


Revue de presse

La Presse, « Riopelle ou la dimension du déracinement », Éric Clément, 27 avril 2023


Images à la une:

Linda Lamignan, THOSE WHO DO NOT TRAVEL NEVER ARRIVE: I DID NOT COME ALONE, 2021. Photo : Romain Guilbault

Dala Nasser, Red in Tooth, 2020-2022. Photo : Romain Guilbault

Silvia Rosi, ABC VLISCO 7100/41, 2022. Photo : Romain Guilbault

Jane Jin Kaisen, Community Of Parting, 2019. Photo : Romain Guilbault

Samara Sallam, Floating Burial, 2019. Photo : Romain Guilbault