À propos —
Le texte « En dialogue » décrit la thématique commune des expositions présentées à chaque saison au Musée d’art de Joliette.
Les œuvres de Monique Régimbald-Zeiber, de Chloë Lum & Yannick Desranleau ainsi que celles rassemblées dans l’exposition Images rémanentes traitent toutes, entre autres, du corps et des expériences des femmes. Employant l’humour et les jeux de mots, elles libèrent la parole des femmes, interrogent la distinction entre raison et émotions et font réfléchir aux prédispositions qui conditionnent le regard et infiltrent le langage, sans pour autant adopter une esthétique militante. Cette programmation n’a pas été imaginée en réponse à l’actualité immédiate. Toutefois, il serait difficile de ne pas souligner la concordance des expositions et des manchettes, toutes deux attirant l’attention sur le fait que les femmes sont encore aujourd’hui marginalisées, violentées et défavorisées.
En ce début d’année 2020, les femmes sont au cœur de l’actualité judiciaire, politique et culturelle. Les faits relayés récemment dans les médias ne représentent qu’un concentré d’une réalité encore trop souvent camouflée. Le procès d’Harvey Weinstein, producteur de Hollywood accusé de harcèlement sexuel, tombé dans la foulée de la vague #metoo / #balancetonporc, s’est amorcé en janvier. Le milieu culturel québécois et canadien n’a pas été épargné par ce mouvement touchant plusieurs personnalités publiques : pensons seulement à l’action des Courageuses. En France, Le consentement, un roman autobiographique signé par Valérie Springora, paraissait aussi en janvier. Elle y raconte avoir été séduite à 14 ans par Gabriel Matzneff, auteur français primé qui, depuis plus de quarante ans, reconnaît ouvertement et impunément dans ses Journaux et sur les plateaux de télé multiplier les conquêtes de jeunes filles de moins de 16 ans. Si ses agissements sont enfin condamnés aujourd’hui, reste que les relations de pouvoirs inégalitaires et la culture patriarcale à la source de ce type de comportements ont la vie dure.
Pour preuve : les commentaires désobligeants sur les femmes, proférés à plus d’une reprise par Donald Trump, ne l’ont pas empêché d’accéder en 2016 au poste de président des États-Unis. Un des hommes politiques les plus puissants de la planète, il jouit encore d’un soutien important parmi la population américaine. Lors du débat à l’investiture républicaine tenu en 2015, une journaliste de Fox, Megyn Kelly, s’interrogeait déjà à propos de la stature présidentielle du candidat Trump. N’avait-il pas qualifié les femmes qui l’emmerdent de « grosses truies, chiennes, de bonnes à rien et de répugnantes créatures »? Cette remarque avait valu à Kelly une avalanche de tweets ironiques de la part du candidat, dont un la discréditait en faisant carrément allusion à ses règles. Comme si cela n’était pas assez, celui-ci s’était déjà vanté d’utiliser sa célébrité comme d’un passe-droit lui permettant de peloter les femmes sans encourir de risques – des propos rappelant les agissements de Roger Ailes, président directeur général de l’empire médiatique Fox forcé de démissionner, exposés dans le film Scandale (2019).
En sommes-nous toujours là aujourd’hui, à dénigrer les femmes en passant par leur corps, attaqué littéralement et métaphoriquement? Bien sûr, ces comportements ne sont pas le fait de tous les hommes. Cette culture de la violence, que l’on peut déceler en sous-texte dans les expositions, est pernicieuse. Elle a ses ferments dans une longue tradition ayant maintenu en vie l’idée que les femmes ont moins de valeur à tous les niveaux : moralement, physiquement, intellectuellement et professionnellement. Cette attitude, tolérée et banalisée trop longtemps, n’est plus acceptable. Les dénonciations se multiplient et il faut s’en réjouir. Les films, les livres, les œuvres et les expositions jouent un rôle important en contribuant à cultiver notre indignation. Une énergie qui accélère le changement.
Anne-Marie St-Jean Aubre
Conservatrice à l’art contemporain
Musée d’art de Joliette
Image à la une
Vue de l’exposition de Monique Régimbald-Zeiber Les ouvrages et les heures, avec à l’avant-plan Les dessous de l’histoire : les immigrantes (2001-2019), Musée d’art de Joliette, 2020. Photo : Romain Guilbault.