En dialogue
Les expositions de l’automne 2019 au MAJ

À propos —

Le texte « En dialogue » décrit la thématique commune des expositions présentées à chaque saison au Musée d’art de Joliette.

 

« Il m’arrive d’être certain que j’ai raison sans savoir pourquoi. (…) L’imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité, tandis que l’imagination embrasse le monde entier, stimulant le progrès, engendrant l’évolution. Il s’agit à proprement parler d’un réel facteur dans la recherche scientifique. »
Albert Einstein, 1931

 

La science et les arts peuvent sembler irréconciliables. Il en était autrement à une époque où le savoir était plus limité. Les deux expositions principales de la saison mettent de l’avant la recherche scientifique en tant que sujet et stratégie artistiques. Elles s’intéressent plus spécifiquement aux modèles scientifiques, physiques ou abstraits, représentant les phénomènes naturels. Marina Gadonneix et Patrick Coutu ébranlent, à leur façon, les modèles existants qu’ils rencontrent; leur recherche suggère qu’en science comme en art, l’objectivité est inatteignable. Les rapprochements sont nombreux entre les deux disciplines : recherche, expérimentations, études, dispositifs… Einstein ajouterait l’imagination à cette liste. Et si l’instinct constituait l’un des champs de forces qui régissent l’univers?

Dans son corpus Phénomènes, Marina Gadonneix documente des dispositifs utilisés pour modéliser en laboratoire des événements naturels à potentiel catastrophique. Ces reconstitutions mettent la nature en scène dans des conditions contrôlées qui deviendront les standards auxquels on la comparera. L’échelle de Saffir-Simpson, par exemple, utilisée pour mesurer l’intensité des ouragans, se base uniquement sur la vitesse des vents. Elle est d’ailleurs appelée à inclure une sixième catégorie pour refléter l’amplitude grandissante des tempêtes récentes. La photographie, issue d’avancées en chimie notamment, a longtemps été utilisée comme preuve du réel, loin de la subjectivité de l’illustration. En documentant et décontextualisant la simulation d’un phénomène, Gadonneix rend le référent insaisissable, indécidable. L’acte de modélisation scientifique, ramenant les objets d’étude qui nous dépassent à une échelle préhensible, s’en voit alors détourné. Il semble que ces paradigmes soient de toute façon condamnés à la désuétude. En témoignent les reproductions de livres scientifiques du 19e siècle et les décors martiens relégués au cinéma de science-fiction.

Pour son exposition L’attraction du paysage, Patrick Coutu s’inspire de schémas mathématiques décrivant des phénomènes naturels : des modèles abstraits, désincarnés, qui s’appliquent à des réalités physiques. Il s’intéresse particulièrement aux formes que prennent ces graphiques et ce qu’elles suggèrent. L’attracteur de Lorenz, par exemple, tiré de l’étude des mouvements atmosphériques, suggère les ailes d’un papillon. Coutu s’amuse à intervenir dans l’algorithme initial pour générer de nouvelles formes, qui n’ont finalement que peu à voir avec le phénomène naturel référent. Ces œuvres deviennent ainsi en quelque sorte les maquettes fictionnelles de réalités potentielles. D’autant plus que les matériaux choisis s’inscrivent en porte-à-faux avec la formule considérée. Le bronze, par exemple, ne pousse pas, tout comme le verre ne s’écoule. Les œuvres de Coutu, graphiques ou sculpturales, témoignent d’une recherche matérielle, d’une maîtrise technique et d’une culture scientifique étendues. Leur échelle se déploie en relation au corps de façon à ce que l’abstraction mathématique soit incarnée, mais demeure insaisissable.

La nature suit-elle des règles que les scientifiques réussissent à déchiffrer, ou est-ce les scientifiques qui imposent leurs lois sur la nature? Certainement, les tentatives de déjouer l’ordre terrestre – en extrayant du sol des matières ensevelies depuis des dizaines de millions d’années et en en enfouissant des synthétiques, par exemple – engendrent les catastrophes que l’on connaît. La solution se trouve-t-elle, comme l’imaginaire collectif et la science le suggèrent souvent, en territoire inconnu? En cela, l’absence de figure humaine dans les corpus présentés cette saison est frappante.

 

Charlotte Lalou Rousseau
Adjointe à la conservation
Musée d’art de Joliette

 


Image à la une

Vue de l’exposition L’attraction du paysage de Patrick Coutu, au premier plan, Récifs (2015), Musée d’art de Joliette, 2019. Photo : Romain Guilbault